

Une vingtaine de parents d’élèves de la maternelle André Del Sarte, dans le 18e arrondissement de Paris, ont refusé, pendant plusieurs semaines, de voir leurs enfants scolarisés à l’école élémentaire Richomme, dans la Goutte d’Or, pour la rentrée 2011. La mairie du 18e a finalement trouvé une solution. Fin du bras de fer. Mais pour combien de temps ?
« L’affaire est close. » Le soulagement était palpable hier à la mairie du 18e arrondissement de Paris, après trois mois de tension opposant l’administration à 18 parents d’élèves de la maternelle André Del Sarte. Lesquels refusaient que leurs enfants effectuent leur rentrée scolaire en septembre 2011 à l’école élémentaire Richomme, dans la Goutte d’Or.
Miracle : « Seize peut-être même dix-huit places », se seraient libérées en quelques jours à l’école élémentaire Foyatier, située au pied du funiculaire de Montmartre, ont-ils appris à la mairie lundi 16 mai. Les 18 familles vivant côté ouest du boulevard Barbès, ont pu dès le lendemain lever le recours administratif déposé en mars par leur avocat à l’encontre la mairie pour « excès de pouvoir ».
Campagne de dénigrement
Motif du conflit ? En raison d’effectifs trop importants à Foyatier, la mairie avait décidé (comme la loi l’y autorise) de déroger à la carte scolaire et d’affecter d’office les enfants originellement promis à Foyatier sur l’école élémentaire Richomme, dans le quartier de la Goutte d’or, dès la rentrée de septembre 2011. Certains parents en avaient perdu le sommeil.
Mais alors que le feu semble éteint de ce côté-ci du boulevard, Philippe Darriulat, l’adjoint au maire chargé des affaires scolaires, tente désormais de maîtriser la colère des parents qui gronde cette fois du côté de la Goutte d’Or. L’élu a prévu de rencontrer, mardi 24 mai 2011, les parents de l’élémentaire Richomme, très remontés après la campagne de dénigrement organisée selon eux par les parents d’André del Sarte pour justifier leur refus d’y scolariser leurs enfants.
Drogue et prostitution
Le premier argument de l’éloignement ne tenant pas (Foyatier est situé à sept minutes à pied d’André Del Sarte contre huit minutes pour Richomme, en descente), les attaques des parents du côté “ouest” avaient progressivement dérivé sur le terrain de la toxicomanie, de la prostitution ou de la saleté des rues, voire de la trop forte population étrangère de la Goutte d’Or (sans jamais aborder la qualité des enseignements de l’école), comme ils l’expliquaient dans un article du Parisien du 9 mai 2011.
À la sortie des classes, deux mamans d’André del Sarte décrivent ainsi Richomme comme une école située « au coeur d’un quartier vraiment différent du fait de la drogue et de la prostitution » (Marie), avec une « population à 80 voire 90 % d’origine africaine, ce qui veut dire que l’on a dans les classes des enfants dont les parents maîtrisent mal le français » (Catherine).
Marie et Catherine, mamans d’André del sarte par Hesterlala
Des arguments jugés « irrationnels » par Philippe Darriulat : « Rendez-vous rue Richomme dans la journée, vous verrez que vous n’avez pas à vous faufiler entre les toxicos et les prostituées. » De telles dérogations interviennent chaque année pour équilibrer les effectifs des écoles d’un même quartier, précise-t-il. « Je m’attendais à ce que ce soit difficile pour les parents de franchir le boulevard Barbès mais je dois reconnaître que l’angoisse était plus forte que je ne l’imaginais. »
L’article du Parisien reprenant les propos alarmistes des parents de la Butte sans jamais donner la parole aux représentants de l’école incriminée, a crée un vif émoi au sein des parents de la Goutte d’or. Le choc a été rude, y compris pour les enfants. A la lecture de cet article, Manon, scolarisée en CM2 à Richomme, a voulu écrire une lettre avec ses copines pour crier sa tristesse de voir ainsi représentée son école, raconte sa maman, Aurélie Barre. Or il se trouve que la famille qui habite du côté ouest du boulevard a elle aussi fait l’objet d’une dérogation lorsque Manon est passée en CP en 2006 :
Aurélie, maman de Richomme par Hesterlala
Les familles de Richomme se disent surtout consternés que l’on critique ainsi ouvertement leur école sans y avoir jamais mis les pieds. « Nous avons organisé une demi-journée découverte pour les parents des maternelles alentour, une seule maman d’André del Sarte s’est déplacée, regrette Fatima Hassoune, représentante des parents d’élèves. Je n’ai pas envie que ma fille de huit ans ait un jour à se justifier d’être allée à l’école Richomme ! »
Fatima, maman de Richomme par Hesterlala
Emmanuelle, autre maman d’une élève de Richomme, analyse quant à elle les peurs qui poussent certains parents à contourner la carte scolaire.
Emmanuelle, maman de Richomme par Hesterlala
« Je comprends que les parents aient peur mais il faut qu’ils viennent voir ce qu’il se passe réellement ici, qu’ils se promènent dans les couloirs pour apprécier la concentration des enfants au travail, conseille la directrice de l’école, Nathalie Claux-Ogienko, qui balaie au passage les rumeurs tenaces de racket et de violence : J’ai eu affaire à des cas de racket lors de ma précédente expérience dans une école du 12e arrondissement. Mais ici, rien depuis le début de l’année scolaire. Quant à la violence verbale et physique entre enfants, il y en a ni plus ni moins qu’ailleurs. »
« Il est vrai que le nombre d’enfants en difficulté est plus élevé à Richomme, mais le pourcentage de réussite aux tests de français et de mathématique a augmenté de 10 à 12 % cette année par rapport à l’an dernier, poursuit la directrice. Les parents doivent savoir que la réussite de leur enfant ne dépend pas d’un établissement situé dans un quartier plus propre ou plus valorisant. »
L’école présente en outre l’avantage d’effectifs très légers (une vingtaine d’élèves par classe, contre 25 à Foyatier) et d’une équipe d’enseignants jeune et très stable depuis plusieurs années, soulignent les parents. L’établissement classé Réseau ambition réussite (RAR) bénéficie enfin de moyens supplémentaires de la ville pour des sorties scolaires et des aides aux devoirs.
Lettre ouverte
Déjà réunis en février à l’occasion d’une manifestation victorieuse contre le rectorat pour empêcher la suppression d’un poste d’enseignant à Richomme, le groupe soudé de parents de Richomme a cette fois entraîné dans sa mobilisation ceux de Budin et d’Oran, deux autres écoles à mauvaise réputation du quartier, pour dire haut et fort leur ras-le-bol d’être « stigmatisés » voire « humiliés » publiquement. Une lettre ouverte circule dans laquelle ils expriment leur « attachement à une vraie diversité, qu’elle soit ethnique, sociale ou confessionnelle, au sein des écoles de la République, publiques et laïques (...) »
De son côté, évitant de trop balancer d’un côté ou de l’autre, Philippe Darriulat dit souhaiter que cette affaire « les gens à réfléchir » et envisage d’organiser une rencontre de pacification entre les parents des deux écoles avant l’été. « Il y aurait une thèse de sociologie à tirer de cette histoire », lâche t-il cependant.
Une nouvelle carte scolaire ?
Pendant ce temps, une dizaine de parents d’élèves de maternelle promis à l’élémentaire Houdon ont eux aussi reçu leur lettre de dérogation sur Richomme, et semblent s’y résoudre sans protester. « Là-bas, aucun désistement n’est annoncé, on n’a aucune solution », prévient la mairie.
Face à l’explosion des nouveaux arrivants dans toutes les écoles de la butte Montmartre (Foyatier, Clignancourt, Houdon, Mont-Cenis et Hermel), une remise à plat de la carte scolaire semble difficile à éviter à très court terme. L’adjoint au maire l’annonce d’emblée, il proposera au prochain vote du découpage (en octobre 2011) qu’un certain nombre de rues situées à l’ouest du Boulevard Barbès soient désormais sectorisées sur l’école Richomme à la rentrée 2012. Un tremblement de terre en préparation ?
L’auteure de l’article,Tatiana Kalouguine, est maman d’un enfant scolarisé à l’école élémentaire Richomme.
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